Il y a eu aussi les cigarettes. Quand je suis entré en prison, on m'a pris ma ceinture, mes cordons de souliers, ma cravate et tout ce que je portais dans mes poches, mes cigarettes en particulier. Une fois en cellule, j'ai demandé qu'on me les rende. Mais on m'a dit que c'était défendu. Les premiers jours ont été très durs. C'est peut-être cela qui m'a le plus abattu. Je suçais des morceaux de bois que j'arrachais de la planche de mon lit. Je promenais toute la journée une nausée perpétuelle. Je ne comprenais pas pourquoi on me privait de cela qui ne faisait de mal à personne. Plus tard, j'ai compris que cela faisait partie aussi de la punition. Mais à ce moment-là, je m'étais habitué à ne plus fumer et cette punition n'en était plus une pour moi. 还有香烟也是个问题。我进监狱的时候,他们拿去了我的腰带,我的鞋带,我的领带,口袋里所有的东西,特别是我的香烟。一进牢房,我就要求他们还给我。但他们对我说这里禁止吸烟。头几天真难过。也许是这件事使我最为沮丧。我从床板上撕下几块木头来咂一咂。我整天想吐。我不明白,他们为什么不让我抽烟,抽烟并不损害任何人。后来我明白了,这也是惩罚的一部分,但这时候,我对不抽烟已经习惯了,这个惩罚对我已不成其为惩罚了。
À part ces ennuis, je n'étais pas trop malheureux. Toute la question, encore une fois, était de tuer le temps. J'ai fini par ne plus m'ennuyer du tout à partir de l'instant où j'ai appris à me souvenir. Je me mettais quelquefois à penser à ma chambre et, en imagination, je partais d'un coin pour y revenir en dénombrant mentalement tout ce qui se trouvait sur mon chemin. Au début, c'était vite fait. Mais chaque fois que je recommençais, c'était un peu plus long. Car je me souvenais de chaque meuble, et, pour chacun d'entre eux, de chaque objet qui s'y trouvait et, pour chaque objet, de tous les détails et pour les détails eux-mêmes, une incrustation, une fêlure ou un bord ébréché, de leur couleur ou de leur grain. En même temps, j'essayais de ne pas perdre le fil de mon inventaire, de [113] faire une énumération complète. Si bien qu'au bout de quelques semaines, je pouvais passer des heures, rien qu'à dénombrer ce qui se trouvait dans ma chambre. Ainsi, plus je réfléchissais et plus de choses méconnues et oubliées je sortais de ma mémoire. J'ai compris alors qu'un homme qui n'aurait vécu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs pour ne pas s'ennuyer. Dans un sens, c'était un avantage.除了这些烦恼外,我不算太不幸。全部的问题,我再说一遍,还是如何消磨时间。从我学会了回忆的那个时刻起,我就一点儿也不感到烦闷了。有时候,我想我从前住的房子,在想象中,我从一个角落开始走,再回到原处,心里数着一路上所看到的东西。开始,很快就数完了。但每一次重新开始,就变得稍微长了些。因为我想起了每一件家具,每一件家具上的每一件东西,每一件东西的全部细小的地方,而那些细小的地方本身,还有镶嵌着什么啦,一道裂缝啦,一条有缺口的边啦,还有颜色和木头的纹理啦。同时,我还试图让我这份清单不要断了线,试图把每一件东西都数全。结果,几个星期之后,单单数我房间里的东西,我就能过好几个钟头。这样,我越是想,想出来的原已忘记或根本认不出的东西就越多。于是我明白了,一个人哪怕只生活过一天,也可以毫无困难地在监狱里过上一百年。他会有足够的东西来回忆而不至感到烦闷。从某种意义上说,这也是一种好处。
Il y avait aussi le sommeil. Au début, je dormais mal la nuit et pas du tout le jour. Peu à peu, mes nuits ont été meilleures et j'ai pu dormir aussi le jour. Je peux dire que, dans les derniers mois, je dormais de seize à dix-huit heures par jour. Il me restait alors six heures à tuer avec les repas, les besoins naturels, mes souvenirs et l'histoire du Tchécoslovaque.还有睡觉。开始,我夜里睡不好,白天根本睡不着。渐渐地,夜里睡得好,白天也能睡着了。我可以说,在最后几个月里,我每天睡十六到十八个钟头。那么,我每天要消磨的时间就剩下六个钟头了,其中包括吃饭、大小便、回忆和捷克斯洛伐克人的故事。
Entre ma paillasse et la planche du lit, j'avais trouvé, en effet, un vieux morceau de journal presque collé à l'étoffe, jauni et transparent. Il relatait un fait divers dont le début manquait, mais qui avait dû se passer en Tchécoslovaquie. Un homme était parti d'un village tchèque pour faire fortune. [114] Au bout de vingt-cinq ans, riche, il était revenu avec une femme et un enfant. Sa mère tenait un hôtel avec sa sœur dans son village natal. Pour les surprendre, il avait laissé sa femme et son enfant dans un autre établissement, était allé chez sa mère qui ne l'avait pas reconnu quand il était entré. Par plaisanterie, il avait eu l'idée de prendre une chambre. Il avait montré son argent. Dans la nuit, sa mère et sa sœur l'avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avaient jeté son corps dans la rivière. Le matin, la femme était venue, avait révélé sans le savoir l'identité du voyageur. La mère s'était pendue. La sœur s'était jetée dans un puits. J'ai dû lire cette histoire des milliers de fois. D'un côté, elle était invraisemblable. D'un autre, elle était naturelle. De toute façon, je trouvais que le voyageur l'avait un peu mérité et qu'il ne faut jamais jouer. 在草褥子和床板之间,有一天我发现了一块旧报纸,几乎粘在布上,已经发黄透亮了。那上面有一则新闻,开头已经没有了,但看得出来事情是发生在捷克斯洛伐克。一个人离开捷克的一个农村,外出谋生。二十五年之后,他发了财,带着老婆和一个孩子回来了。他的母亲和他的妹妹在家乡开了个旅店。为了让她们吃一惊,他把老婆孩子放在另一个地方,自己到了他母亲的旅店里,他进去的时候,她没认出他来。他想开个玩笑,竟租了个房间,并亮出他的钱来。夜里,他母亲和他妹妹用大锤把他打死,偷了他的钱,把尸体扔进河里。第二天早晨,他妻子来了,无意中说出那旅客的姓名。母亲上吊,妹妹投了井。这段故事,我不知读了几千遍。一方面,这事不像真的,另一方面,却又很自然。无论如何,我觉得那个旅客有点自作自受,永远也不应该演戏。
Ainsi, avec les heures de sommeil, les souvenirs, la lecture de mon fait divers et l'alternance de la lumière et de l'ombre, le temps a passé. J'avais bien lu qu'on finissait par perdre la notion du temps en prison. Mais cela n'avait pas beaucoup de sens pour moi. Je n'avais pas compris à quel point les jours pouvaient être à la fois longs et courts. Longs à vivre sans doute, mais tellement distendus qu'ils finissaient par déborder les uns sur les autres. Ils y perdaient leur nom. Les mots hier ou demain étaient les seuls qui gardaient un sens pour moi. 这样,睡觉、回忆、读我的新闻,昼夜交替,时间也就过去了。我在书里读过,说在监狱里,人最后就失去了时间的概念。但是,对我来说,这并没有多大意义。我始终不理解,到什么程度人会感到日子是既长又短的。日子过起来长,这是没有疑问的,但它居然长到一天接一天。它们丧失了各自的名称。对我来说,唯一还有点意义的词是“昨天”和“明天”。
Lorsqu'un jour, le gardien m'a dit que j'étais la depuis cinq mois, je l'ai cru, mais je ne l'ai pas compris. Pour moi, c'était sans cesse le même jour qui déferlait dans ma cellule et la même tâche que je poursuivais. Ce jour-là, après le départ du gardien, je me suis regardé dans ma gamelle de fer. Il m'a semblé que mon image restait sérieuse alors même que j'essayais de lui sourire. Je l'ai agitée devant moi. J'ai souri et elle a gardé le même air sévère et triste. Le jour finissait et c'était l'heure dont je ne veux pas parler, l'heure sans nom, où les bruits du soir montaient de tous les étages de la prison dans un cortège de silence. Je me suis approché de la lucarne et, dans la dernière lumière, j'ai contemplé une fois de plus mon image. Elle était toujours sérieuse, et quoi d'étonnant puisque, à ce moment, je l'étais aussi ? Mais en même temps et pour la première fois depuis des mois, j'ai entendu distinctement le son de ma voix. Je l'ai reconnue pour celle qui résonnait déjà depuis de longs jours à mes oreilles et j'ai compris que pendant tout ce temps j'avais parlé seul. Je me suis souvenu alors de ce que disait l'infirmière à l'enterrement de maman. Non, il n'y avait pas d'issue et personne ne peut imaginer ce que sont les soirs dans les prisons.有一天,看守对我说我进来已经五个月了,我相信这点,但我又不理解。对我来说,我在牢房里过的总是同样的一天,做的也总是同样的事。那无,看守走了之后,我对着我的铁碗,看了看自己。我觉得,就是在我试图微笑的时候,我的样子还是很严肃。我晃了晃那铁碗。我微笑了,可碗里的神情还是那么严肃,忧愁。天黑了,这是我不愿意谈到的时刻,无以名之的时刻,监狱各层的牢房里响起了夜晚的嘈杂声,随之而来的是一片寂静。我走近小窗口,借着最后的光亮,我又端详了一番我的样子。还是那么严肃。这有什么奇怪的呢?那会儿,我就是那么严肃嘛。但就在那时,几个月来,我第一次清楚地听见了我自己说话的声音。我认出来了,这就是很久以来一直在我耳边回响的声音啊,我这才明白,这一段时间里我一直在一个人说话。于是,我想起了母亲下葬那天女护士说过的话。不,出路是没有的,没有人能想象监狱里的晚上是怎样的。